EN AVANT GUINGOUIN !
Mis à jour le :15 avril 2007. Auteur : Anatole Istria.
Georges Guingouin n’a demandé l’autorisation à personne. Sans attendre les consignes, ni se plier à la discipline d’un parti communiste respectueux du pacte germano-soviétique jusqu’à la fin juin 1941, il réorganise une cellule clandestine en Haut-Limousin et publie un Appel à la lutte dès l’été 1940. L’instituteur de Saint-Gilles-les- Forêts part le premier au maquis et se terre dans les bois, en Corrèze, armé d’une simple ronéo pour la propagande et la fabrication de faux papiers. Cela lui vaut d’être qualifié par la direction du parti de « fou dans les bois ». Mais c’était mal connaître Raoul, comme on l’appelait dans la clandestinité, car le secteur de Mont-Gargan allait devenir un haut-lieu de la Résistance.
Surnommé « Lou Grand » par les paysans de Haute-Vienne, puis nommé « préfet du maquis », Guingouin va bénéficier du soutien et du ravitaillement d’une société paysanne occitane aux liens communautaires forts. Alors que les autres maquis armés ne se constituent que début 43 par réfraction au Service du Travail Obligatoire, Guingouin initie les premiers groupes de Francs-Tireurs Partisans. Le maquisard du Limousin développe différentes phases stratégiques de résistance : d’abord de petits groupes extrêmement mobiles pour le sabotage et l’embuscade, puis la formation de brigades autonomes motorisées dites « volantes », de soixante à quatre-vingts hommes, qui finalement s’installeront dans les villages à partir de 1944. Guingouin se réfère à L’art de la guerre du stratège chinois Sun Tzu : « Ce qui est essentiel, c’est l’extrême mobilité qui permet la surprise ; ce qui est décisif, c’est le facteur moral, l’intelligence, l’imagination du commandement amenant ainsi à vaincre au moindre prix en vies humaines. » À la libération de Limoges, il est finalement à la tête des 20 000 hommes de la 4e brigade des Forces Françaises de l’Intérieur. Pourtant, rien en lui ne trahit le chef de guerre : ni morgue, ni mépris, ni autoritarisme. Rien de l’apparatchik non plus : durant toute la guerre, la légende haletante du « Grand » prend corps dans l’esprit populaire du Limousin, comparable à la geste des hors-la-loi ruraux, des bandits sociaux, des Haïdouks roumains ou des Klephtes grecs luttant contre la domination turque, des desperados libertaires et autres rebelles des montagnes [1]. Ce qui singularise le maquis du Limousin, ce sont les rapports égalitaires entre les partisans et la complicité de la population. Tout comme la clairvoyance du Grand quand il propose un gouvernement de l’ombre. Guingouin légifère dans les bois ! « Les “arrêtés du préfet du maquis” illustrent la mise en place d’une administration parallèle, phase supérieure de la lutte des partisans… » Ainsi, pour contrer le marché noir, le préfet menace les spéculateurs d’amendes s’ils ne respectent pas les tarifs qu’il leur impose. En janvier 1944, l’autre préfet, celui de Vichy, constate que la population est « dans son ensemble favorable au maquis. Les paysans ne parlent pas ou ne veulent pas parler, soit par sympathie pour les réfractaires, soit par crainte des représailles ». Les Allemands ont quant à eux surnommé la région das kleine Russland, la « petite Russie ».
La tête de Guingoin est mise à prix trois millions par la Gestapo. En mai 1942, le PCF veut lancer aussi un contrat sur sa face après son refus d’obtempérer aux ordres de la direction, qui veut renoncer à la guérilla pour concentrer son action dans les villes. Ce n’est pas l’unique contradiction du « Parti des fusillés » qui, trente ans plus tard, placera à sa tête un ancien volontaire au travail en Allemagne, ouvrier zélé dans les usines Messerschmidt, un certain Georges Marchais… Ce sont finalement les choix de Guingouin qui s’avéreront les plus judicieux, épargnant au maquis du Limousin de connaître les lourds sacrifices humains des maquis de Mont-Mouchet et du Vercors. Son indépendance lui vaudra après-guerre d’être la cible de nombreux coups tordus provenant à la fois des notables locaux et du PCF. Le premier maquisard de France s’avère être aussi le plus atypique dans une mythologie de la Résistance jalousement partagée entre gaullistes et staliniens.
Article publié dans CQFD n° 44, avril 2007.